Pourquoi le réchauffement des océans Participe

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La reconstitution des climats passés est indispensable pour comprendre le rôle de l’océan et des cycles géochimiques de la terre sur le climat actuel et pour prévoir le climat futur.

1De tous les milieux composant le système Terre, on peut se demander lequel joue le rôle dominant dans la variabilité climatique. On a vu le rôle de l’océan dans le climat actuel et sa variabilité à l’échelle humaine, mais qu’en est-il du rôle qu’il a joué depuis la naissance de notre Terre et les premiers balbutiements de la vie ? Comment participera-t-il au changement climatique qui s’annonce ? Pour les climats du passé, la réponse dépend évidemment de l’échelle temporelle à laquelle on se place.

2Aux échelles géologiques de quelques dizaines à quelques centaines de millions d’années, la composition chimique de l’atmosphère, la géométrie des continents et les manifestations de l’énergie interne de la Terre - principalement sous la forme de crises volcaniques - ont été des facteurs déterminants des changements climatiques, dont témoignent les séries stratigraphiques définies par les géologues. Ces strates recèlent les archives des conditions environnementales et climatiques qui ont régné sur notre planète. L’océan a répondu à ces changements de très longue période par des mouvements de transgression et de régression sur les continents, en déposant les sédiments qui matérialisent les étages géologiques caractéristiques d’une époque et de son climat. Mais nous savons peu de choses du comportement du fluide océanique et de sa capacité à répartir la chaleur et l’eau sur la surface de la planète soumise, à ces époques lointaines, à des conditions extérieures très différentes de celles qui prévalent actuellement.

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Figure 91. Teneur en gaz carbonique, température de l’air, température de l’océan, volume de glace et flux solaire enregistrés dans la carotte de glace de 400 000 ans forée à la station de Vostok dans l’Antarctique. Sur la figure apparaissent les quatre derniers cycles glaciaires et la forte corrélation entre ces différents paramètres.

  • 1 Les variations d'énergie solaire reçue par la Terre, en moyenne et en un point donné, dépendent de (...)
  • 2 Le flux radiatif émis par le Soleil, improprement appelé la « constante solaire », peut aussi vari (...)

3Plus près de nous, à l’échelle de quelques centaines de milliers d’années, nous savons qu’un facteur externe à notre système planétaire a eu une grande influence sur le climat et sa variabilité : il s’agit de la quantité d’énergie solaire reçue par la Terre qui peut varier en fonction de paramètres astronomiques déterminant sa distance et son orientation1 par rapport au Soleil2. Ainsi, aux latitudes tempérées, le flux radiatif solaire incident moyen reçu par la Terre peut varier de quelques %, cependant suffisants pour engendrer des périodes glaciaires froides et des périodes interglaciaire plus chaudes qui se succèdent à une fréquence voisine de 100 000 ans (fig. 91).

4Ces fluctuations du climat et leurs relations avec les variations du flux solaire ont été mises en évidence par l’équipe d’André Berger, professeur d’astronomie et de géophysique à l’université libre de Louvain-la-Neuve (en Belgique). À l’aide d’un modèle astronomique, il a simulé les différences de flux radiatif solaire reçu sur la Terre au cours du temps, en fonction des paramètres astronomiques déterminant la distance et l’orientation de la Terre par rapport au Soleil. Ces différences expliquent les glaciations et déglaciations du Quaternaire qui intriguaient si fort les géologues du début du xxe siècle, lesquels débattaient avec vigueur la théorie très controversée d’un physicien serbe, Milutin Milankovitch, qui le premier avait formulé ces hypothèses pour expliquer les glaciations. Encore plus près de nous, à l’échelle des derniers millénaires, les archives glaciaires, coralliennes et sédimentaires récentes sont riches d’enseignements sur le rôle qu’a pu jouer l’océan sur la variabilité du climat par ses seuls mouvements et ses interactions avec l’atmosphère, alors que la répartition des continents et leur géométrie ont très peu varié. C’est là le domaine de la paléoclimatologie récente, qui nous aide à mieux comprendre le fonctionnement de la machine climatique actuelle et à prévoir son évolution.

5Enfin, le changement climatique actuel d’origine anthropique nous conduit à examiner une autre propriété de l’océan vis-à-vis du climat, sa capacité d’échanger le gaz carbonique avec l’atmosphère et de stocker le carbone. Cet échange a eu cours à toutes les époques, mais il prend maintenant une importance toute particulière, dans la mesure où l’on cherche à connaître la capacité de l’océan à réabsorber le carbone rejeté par l’homme dans l’atmosphère depuis l’ère industrielle.

6À côté du carbone, d’autres éléments chimiques transitent par l’océan, c’est là le domaine de la géochimie marine qui lie la dynamique de l’océan à son environnement terrestre ; on peut suivre cette dynamique à travers les mesures de très faibles teneurs d’éléments et de corps chimiques marquant les masses d’eaux océaniques et ainsi utilisées comme traceurs des mouvements lents et profonds de l’océan.

7À toutes ces échelles, l’océan joue un rôle, pas toujours dominant, mais souvent déterminant dans les boucles complexes d’actions et de rétroactions qui s’enchaînent pour déterminer un état climatique, résultant d’interactions souvent non linéaires et probablement partiellement chaotiques.

8Nous commencerons par faire le point des connaissances apportées par la géochimie sur la circulation générale des océans. Nous examinerons ensuite les relations de l’océan avec le carbone et son rôle possible dans la régulation des émissions de gaz carbonique dans l’atmosphère. Puis nous dresserons un bilan des apports de la paléoclimatologie à la connaissance et à la compréhension du rôle de l’océan dans les états climatiques anciens et leur variabilité à long terme. À cet effet, nous interrogerons les archives sédimentaires, glaciaires et coralliennes, qui ont conservé la mémoire de ces climats du passé récent.

La géochimie de l'océan

9L’implication de l’océan dans la variabilité du climat ne se limite pas à son interaction mécanique et thermodynamique avec l’atmosphère. L’océan est le réceptacle et le réservoir de la majorité des constituants chimiques de la Terre, y compris les éléments les plus courants et les plus actifs dans la vie de la planète. Mais l’homme est susceptible d’en ajouter de nouveaux, que l’on qualifiera d’artificiels, tels les éléments radioactifs émis lors des expériences nucléaires à l’air libre des années 1960, ou encore les fréons, gaz issus des systèmes réfrigérants et des bombes aérosols.

10La géochimie de l’océan s’intéresse à trois catégories principales de corps chimiques : (1) des corps naturels tels que les sels nutritifs (phosphates, nitrates, carbonates...) qui participent à la vie de l’océan ; (2) des isotopes naturels d’éléments chimiques courants tels que le carbone et l’oxygène ; (3) des radioéléments qui résultent de la désintégration d’éléments radioactifs naturels ou artificiels tels que ceux associés à la fabrication de bombes ou de générateurs nucléaires.

Les débuts de la géochimie océanique : Geosecs (1972-1978)

11La première - et la plus complète - campagne d’observations de chimie et de radiochimie des océans est sans conteste le programme Geosecs (Geochemical Ocan Sections Studies) initié par la Scripps Institution of Oceanography en 1972 et qui s’est terminé sur le terrain six ans plus tard en 1978. Ce programme, conçu par un groupe de chercheurs des États-Unis, auxquels se sont joints quelques Européens, avait deux objectifs majeurs : établir un état des lieux de la composition chimique et radiochimique des océans - dans l’hypothèse de changements futurs possibles - ; apporter des données nouvelles pour améliorer la connaissance et la compréhension du transport océanique profond ainsi que des processus de mélange qui l’accompagnent.

12Le programme Geosecs a couvert les trois grands océans. Près de 500 stations de mesures ont été mises en place, à partir desquelles des échantillons d’eau de grand volume (plusieurs dizaines de litres) ont été prélevés jusqu’au fond de l’océan. Les analyses chimiques et radiochimiques ont duré plus de cinq ans. L’ensemble des ces observations a été rassemblé dans un atlas, publié par la Scripps. Outre la température et la salinité, les principaux paramètres mesurés ont été la teneur en oxygène, en sels nutritifs usuels (phosphates, nitrates, silicates), et en radioéléments artificiels tels que le tritium (3H) et le carbone 14 (4C), isotopes de l’hydrogène et du carbone résultant des contaminations radioactives de l’atmosphère par les essais nucléaires des années 1960.

13Le tritium, l’un des principaux « traceurs conservatifs », appelés ainsi car leur teneur ne dépend que de leur apport initial et du mélange des eaux, a marqué les eaux de surface de l’Atlantique nord lors de la contamination radioactive des années 1960 et l’on peut suivre sa diffusion à l’intérieur de la masse liquide au cours du temps. Les mesures de la teneur des eaux en tritium ont ainsi permis de tracer la circulation océanique de sub-surface et le mélange des eaux de l’Atlantique nord. Des comparaisons avec des mesures ultérieures effectuées en 1981 et plus tard encore avec des mesures réalisées lors du programme Woce en 1995 ont permis d’acquérir de nouvelles connaissances sur la vitesse des transports et sur la diffusion des eaux profondes, ainsi que sur les phénomènes de convection, si importants dans le fonctionnement de la machine thermique planétaire (fig. 92).

14Un peu après Geosecs, au cours des campagnes appelées Transient Tracers in the Ocean (TTO), en 1983, les teneurs en fréons ou CFC (composés chloro-fluoro-carbonatés), gaz issus des systèmes réfrigérants et des bombes aérosols qui perturbent l’équilibre de la couche d’ozone, ont été également utilisées comme traceurs océaniques dans l’Atlantique. Ces mesures de fréons ont permis de mettre en évidence une circulation zonale d’ouest en est entre 1 600 et 1 800 mètres de profondeur le long de l’équateur. Les eaux transportées à cette profondeur venaient de la zone de convection nord-Atlantique et cheminaient, suivant ce parcours inattendu, à la vitesse très lente de 1 cm/s. L’équateur, même à très grande profondeur, reste une région singulière qui affecte toujours la circulation dans un sens zonal.

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Figure 92. Teneur en tritium le long d’une section méridienne entre 10 ° S et 80 ° N et entre la surface et 6 000 mètres de profondeur au cours de deux campagnes de mesures. En haut, en 1972, la campagne Geosecs.
En bas, neuf ans plus tard en 1981, une campagne TTO (Transient Tracers in the Ocean). On voit que le tritium s’est répandu, en une dizaine d’années, jusqu’au fond de l’océan où il a commencé à migrer en direction du sud.
Document Philippe Jean-Baptiste (LSCE - Gif-sur-Yvette), d’après G. Ostlund (université de Miami).

Woce renouvelle Geosecs trente ans plus tard

15Dans le cadre du programme Woce, des mesures de composés géochimiques contenus dans l’océan ont également été réalisées. Hormis les corps chimiques mesurés usuellement en océanographie et en partie utilisés comme traceurs - oxygène dissous, phosphates, nitrates - tous les traceurs radioactifs qui avaient été observés durant Geosecs ont été à nouveau mesurés. L’exploration détaillée de la circulation profonde nécessitait cette extension du programme Woce vers les observations chimiques et géochimiques les plus complètes possible, bénéficiant de technologies de mesures plus précises comme la spectrométrie de masse. Il était également précieux de pouvoir comparer les teneurs de ces composés avec celles observées une ou plusieurs décennies plus tôt, et ainsi de déceler leurs possibles évolutions. Ces observations répétées dans le temps, riches en informations sur la circulation profonde, renseignent aussi sur son évolution possible dans le cadre du changement climatique en cours d’origine anthropique.

16Les paramètres géochimiques les plus intéressants pour la connaissance de la circulation océanique profonde restent les CFC, le tritium et le carbone 14, avant que d’autres traceurs plus pointus encore ne prennent éventuellement le relais un jour prochain. Néanmoins, durant Woce, plusieurs types de CFC ont été mesurés ; grâce à ces mesures, on a pu acquérir une vision nouvelle et plus détaillée de la circulation méridienne profonde, dans l’Atlantique notamment (fig. 93).

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Figure 93. Section méridienne Woce dans l’Atlantique ouest, entre 10 ° N et 50 ° S, des teneurs en CFC-11. On remarque que du sud au nord et entre 0 et 1 000 mètres de profondeur, des teneurs élevées en fréons-11 (en jaune et orange) marquent la signature des eaux antarctiques intermédiaires qui s’écoulent en direction du nord. Au nord de l’équateur au contraire, deux maximums profonds voisins de 2 000 et 4 000 mètres de profondeur (en vert) sont la signature des eaux profondes venant de l’Atlantique nord et s’écoulant en direction du sud.
Document Ifremer.

17Le carbone 14, très utilisé pour étudier la circulation océanique, présente un autre intérêt en relation avec le devenir du dioxyde de carbone (CO2) produit artificiellement par l’homme et qui contribue à l’effet de serre. Le programme Geosecs avait déjà pratiqué des observations de carbone 14 dans des régions océaniques telles que l’Atlantique nord, considérées comme critiques pour l’étude du cycle du carbone. Ces premières observations avaient indiqué que l’océan avait une grande capacité à absorber et stocker le carbone issu d’un accroissement de la teneur en CO2 de l’atmosphère. Woce a renouvelé ces observations, en liaison avec un autre programme international, JGOFS (Joint Global Ocean Flux Studies), dont l’objectif est de comprendre comment l’océan est impliqué dans le cycle du carbone à l’échelle planétaire.

Le changement climatique actuel, le cycle du carbone et l'océan

Teneur en CO2 et température de l’atmosphère augmentent

18En 1958, la première station de mesure permanente du taux de gaz carbonique (CO2) dans l’atmosphère fut installée aux îles Hawaï par Charles Keeling. En moins d’un demi-siècle, ce taux est passé de 320 parties pour million (ppm) à 365 ppm en l’an 2000, montrant une progression continue rythmée par le seul cycle saisonnier (fig. 94). Ces mesures sont significatives d’une augmentation de la teneur en CO2 qui affecte l’ensemble de l’atmosphère planétaire. Des estimations antérieures, réalisées par d’autres moyens moins précis, montrent que l’on est passé d’une teneur constante voisine de 280 ppm au cours du dernier millénaire à une brutale accélération à l’aube de l’ère industrielle, autour des années 1800. Cette accélération est en relation avec le réchauffement climatique de la Terre constaté par ailleurs depuis le début de l’ère industrielle (fig. 95). Ce dernier se manifeste par une augmentation de la température de l’air d’environ 0,8 °C depuis le début du xxe siècle avec une accélération marquée à partir des années 1980, principalement dans l’hémisphère nord. Ce réchauffement semble se communiquer massivement à l’océan, dont le rôle peut être crucial pour absorber ou tamponner ces écarts thermiques.

Réchauffement global de l’océan

19Le réchauffement actuel peut nous aider à mieux comprendre le rôle de l’océan dans le climat, principalement au travers de sa fonction de stockage de chaleur. Des études récentes, menées par Sydney Levitus et ses collaborateurs du GFDL à partir des observations stockées dans les banques de données, ont permis de quantifier les variations du contenu thermique de l’océan mondial sur la période 1948-1998. Alors que la température moyenne de l’atmosphère au niveau de la mer a augmenté durant cette période d’environ 0,5 °C, l’océan a été affecté par un réchauffement global moyen de 0,06 °C. Bien que très inférieur en température, ce réchauffement correspond à une quantité de chaleur considérable, étant donné la très grande capacité thermique de l’océan par rapport à celle de l’atmosphère (environ 1 000 fois celle de l’atmosphère). Levitus et ses collègues ont calculé que la quantité de chaleur emmagasinée par l’océan au cours de cette période est 10 fois celle ayant affecté l’atmosphère. Ainsi, le réchauffement constaté de l’atmosphère ne représenterait qu’un dixième du réchauffement total de la planète, les 9 dixièmes restants auraient pénétré dans l’océan. Cette estimation de la répartition des calories supplémentaires - apportées par l’accroissement de l’effet de serre - entre l’océan et les autres milieux terrestres rejoint et conforte les modèles climatiques simulant le réchauffement. Ceux-ci, en effet, montrent que l’accroissement de l’effet de serre (voir paragraphe suivant) impliquerait un réchauffement beaucoup plus important que celui constaté dans la seule atmosphère. Il existerait ainsi un « réchauffement manquant », qui aurait en fait été absorbé par l’océan. Cette découverte de la capacité supposée de l’océan d’absorber une fraction très importante du réchauffement anthropique n’est pas forcément une bonne nouvelle. Car, outre le fait qu’elle confirmerait les prévisions les plus pessimistes sur le niveau du réchauffement actuel, elle allongerait encore plus le temps de réponse du système climatique planétaire à l’effet de serre. En effet, si l’océan engrange autant de calories, il en sera certainement affecté en profondeur, et pour longtemps. Même si l’humanité finit par être capable de limiter, en les contrôlant, ses émissions de gaz à effet de serre (aux alentours de 2050 par exemple), ces calories seront un jour restituées à l’atmosphère, non pas rapidement, mais sur une très longue période (de l’ordre de plusieurs siècles) correspondant à la longue « mémoire thermique » de l’océan.

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Figure 94. Accroissement du taux de concentration du gaz carbonique dans l’atmosphère. Les unités sont des parties pour million (ppm). Le graphique intérieur, représentant l’accroissement entre 1960 et aujourd’hui, rassemble les mesures physiques disponibles. Le graphique extérieur, depuis l’an 1000, est basé sur des estimations. Document GIEC/IPCC - 3e édition.

20Mais ce pire n’est pas certain, le réchauffement océanique est loin d’être uniforme. Sur les cinquante années considérées, des variations temporelles de périodes décennales et pluri-décennales de grande amplitude sont observées (fig. 96), marquant ainsi des épisodes de réchauffement et de refroidissement. Ces variations, de périodes voisines de 10 ans, représentent plus de la moitié de la variabilité totale observée. Levitus note encore que ces variations affectent principalement les 300 premiers mètres de l’océan à l’exception de l’Atlantique nord (au nord de 50 ° N), où des cheminées de convections (voir plus loin) peuvent rapidement faire plonger les anomalies thermiques jusqu’à 2 000 mètres de profondeur, et au-delà.

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Figure 95. L’évolution de la température moyenne de l’ensemble de la planète depuis 140 ans (en haut) et de l’hémisphère nord depuis 1 000 ans (en bas). En rouge, les mesures physiques. En bleu, les estimations non physiques à l’aide des cernes de croissance des arbres, des coraux, des carottes de glace. On constate une brusque accélération de la montée de la température depuis 1900, et surtout depuis 1980. Document GIEC/IPCC - 3e édition.

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Figure 96. Évolution entre 1948 et 1998 du contenu thermique (en watts parm2 par rapport à la moyenne) de l’océan mondial et des deux hémisphères, intégré entre la surface et 3 000 mètres de profondeur. On remarque la tendance au réchauffement de l’océan ainsi que des oscillations décennales très marquées. D’après Levitus et al. (2000).

21On peut conclure de ces études récentes que, parallèlement au réchauffement atmosphérique, un réchauffement encore plus élevé se manifeste également dans l’océan. Mais ce réchauffement de l’océan n’est probablement pas dû seulement au réchauffement de l’atmosphère qui le précéderait. Il intègre aussi vraisemblablement des variations naturelles, de fréquences décennales, multi-décennales ou à plus long terme, dont on ne connaît pas encore l’origine.

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Le récif barrière, paysage marin typique du Pacifique, renferme dans ses coraux une précieuse mémoire des climats passés.

L'effet de Serre

  • 3 Les gaz à effet de serre représentent 1 % seulement de la composition de l'air. 70 % de ces 1 % so (...)

22La coïncidence entre l’élévation de la température moyenne de la planète et des océans et celle de la teneur de l’atmosphère en CO2 depuis un peu plus d’un siècle s’explique par « l’effet de serre » induit par certains gaz atmosphériques, dont le CO2 mais aussi par la vapeur d’eau. Ces gaz bloquent une partie de l’émission du rayonnement naturel de la Terre, principalement dans les longueurs d’onde du domaine infrarouge, réchauffant ainsi l’atmosphère et par suite tous les milieux constitutifs du système climatique, océans compris. Le CO2 participe pour 16 % à ces « gaz à effet de serre » (GES)3 La corrélation entre la teneur en CO2 de l’atmosphère et la température moyenne de la planète est vérifiée à toutes les échelles temporelles. Elle s’observe aussi bien à très long terme, aux échelles géologiques, qu’à l’échelle des dizaines de millénaires récents, comme le montrent les enregistrements dans les glaces de l’Antarctique à la station Vostock (fig. 97), et aussi à l’échelle de la vie humaine.

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Figure 97. Enregistrements du taux de gaz carbonique (en rouge) et de la température de l’atmosphère (en bleu), dans les bulles de gaz incluses dans la première carotte de glace prélevée dans l’Antarctique (station de Vostock). La corrélation est nette. Figure historique que l’on doit à Claude Lorius et Jean Jouzel.

  • 4 Évaluation mentionnée dans le rapport 2001 du GIEC (Croupe d'experts intergouvememental sur l'évol (...)

23Les modèles climatiques indiquent que l’accroissement brutal de cet effet de serre et du réchauffement induit depuis le début de l’époque industrielle est dû principalement au CO2 produit par l’activité humaine. Cependant, le taux connu actuellement (1990-1999)4 de rejet de carbone dans l’atmosphère (6,3 ± 0,3 petagramme de C/an ; 1 petagramme ou pg =1015 grammes) ne correspond pas à l’augmentation constatée de cet élément dans l’atmosphère (3,2 ± 0,1 pg C/an). Environ la moitié du carbone produit ne se retrouve pas dans l’atmosphère. Il faut donc en conclure que cette moitié manquante est soustraite au bilan global par les deux milieux susceptibles d’absorber une partie de ce carbone artificiel, la biosphère continentale et l’océan.

L'océan absorbe une partie du CO2 d'origine anthropique

24D’après le rapport 2001 du GIEC, la biosphère continentale (plantes, sols, arbres) absorberait environ 1,4 pg C/an, et l’océan 1,7 pg C/an. L’océan serait donc le principal milieu terrestre susceptible de réabsorber le carbone introduit artificiellement dans l’atmosphère par l’activité humaine. Occupant près des deux tiers de la surface de la planète, il peut échanger du carbone avec l’atmosphère de différentes façons, qui tiennent autant à ses propriétés physico-chimiques qu’à sa capacité de produire de la matière vivante.

25On distingue trois processus fondamentaux permettant à l’océan de réabsorber le CO2 atmosphérique ou de réguler cette absorption :

26La « pompe physique ». On désigne ainsi la capacité des couches superficielles océaniques d’absorber une fraction du CO., atmosphérique par solubilité. Cette capacité est fonction de la température de l’eau. Plus une eau est froide, plus elle peut absorber de CO2, Les eaux superficielles chaudes au contraire émettent du CO2 dans l’atmosphère, ce qui explique que les régions tropicales, notamment le Pacifique, soient généralement des zones sources de CO2, lors des épisodes El Niño notamment (fig. 98).

27La « pompe biologique ». La vie marine, et particulièrement le phytoplancton, premier étage de la chaîne vivante marine, est consommatrice de CO2 pour sa photosynthèse, à l’instar des prairies ou des forêts sur les continents. Ce carbone se fixe ainsi sous forme organique et peut être transporté par la chaîne trophique dans les couches profondes de l’océan.

28La régulation chimique. Le CO2 dissous dans l’eau de mer entraîne au sein de cette dernière une cascade de réactions chimiques qui conduisent à des équilibres chimiques limitant la capacité de l’océan de « digérer », par ce processus, tout le CO2 pris à l’atmosphère.

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Figure 98. Répartition géographique moyenne, par latitudes et pour l’ensemble des océans, de la quantité de carbone échangée entre l’atmosphère et l’océan, principalement sous forme de gaz carbonique (en g de C par m2 et par an). On remarque que les zones tropicales émettent du gaz carbonique dans l’atmosphère. Au contraire, aux plus hautes latitudes, l’océan absorbe du gaz carbonique. Entre 1920 et 1980, un important changement s’est opéré, réduisant à la fois le dégazage tropical et l’absorption extratropicale. Document JGOFS.

29La distribution régionale des échanges de CO2 entre l’océan et l’atmosphère est le résultat de la superposition de ces trois processus conduisant à une forte hétérogénéité spatiale présentant des « zones sources », les régions tropicales, et des « zones puits », les régions tempérées et polaires. Outre les incertitudes sur les bilans de carbone et les flux tels qu’ils apparaissent sur la figure 99, les mécanismes d’absorption et d’émission du CO2 des autres milieux qui composent le système Terre sont également mal connus. De nombreuses boucles d’actions et de rétroactions (feed back) sont en effet susceptibles d’affecter ces bilans.

Des incertitudes et des questions demeurent

30Dans l’océan, les principales incertitudes sont liées au transport océanique vertical, susceptible d’entraîner rapidement des quantités importantes de carbone dans les couches intermédiaires et profondes, comme c’est le cas dans les zones de convection de l’Atlantique nord. Une grande incertitude porte aussi sur l’océan austral, qui est à la source de la formation d’eaux intermédiaires et profondes susceptibles de plonger rapidement et de disséminer le carbone dans l’océan mondial.

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Figure 99. Le cycle du carbone dans l’atmosphère, la terre et l’océan avec les flux de carbone entre les différents réservoirs (en petagrammes de carbone par an). D’après Sarmiento et al. (2000).

  • 5 Le carbone finit par s'accumuler dans les sédiments marins profonds sous forme principalement de c (...)
  • 6 Afin d'activer la production phytoplanctonique de l'océan austral, il a été envisagé de l'ensemenc (...)

31D’une façon générale, la réponse de l’océan au changement climatique passe par sa capacité à absorber et à disperser dans ses couches profondes à la fois les calories et le carbone en excès5 apportés par l’atmosphère. Mais les constantes de temps de la circulation océanique sont longues : elles peuvent atteindre le millénaire pour certaines masses d’eau, et ce rôle océanique de tampon peut donc ne se faire sentir qu’à très long terme. Par ailleurs, les « effets secondaires » d’un océan globalement réchauffé et suractivé biologiquement par une disponibilité accrue de carbone sont difficiles à évaluer6, tant en ce qui concerne les modifications de la dynamique océanique que les perturbations de la vie marine. La production de ressources vivantes exploitables pourrait à terme s’en trouver affectée, avec de grandes disparités régionales, notamment entre les pays du Nord et les pays du Sud, généralement proches des tropiques.

La modélisation du cycle du carbone

32Dans un domaine aussi complexe, la modélisation peut être d’un grand secours. Historiquement, les premiers modèles dits « géochimiques » ont permis dans les années 1980 de simuler la perturbation du système des carbonates par le CO2 anthropique en excès. Puis, dans les années 1990, sont apparus des modèles « bio-géochimiques », qui prennent en compte les processus thermodynamiques de surface et l’effet de la biomasse marine sur la distribution des carbonates dans l’océan. Une troisième génération de modèles est récemment apparue pour simuler l’impact du changement climatique sur la dynamique et la biologie de l’océan : ce sont des modèles appelés parfois « physico-bio-géo-chimiques », qui lient les processus bio-géochimiques à la dynamique couplée océan-atmosphère et à la simulation de l’évolution du climat. De tels modèles voient actuellement le jour dans les grandes institutions scientifiques. Ils sont utilisés pour prévoir à l’échelle du siècle ou à plus long terme encore l’évolution des teneurs en carbone et les flux entre les divers réservoirs du système planétaire (fig. 100). Ces modèles sont également nécessaires pour analyser et comprendre les processus impliqués dans cette évolution. On relève une grande disparité dans les simulations en mode pronostique de ces différents modèles, ce qui atteste, s’il en était besoin, de la complexité du problème et de l’importance des incertitudes qui demeurent.

33Depuis 1989, un grand programme international, JGOFS, rassemble la communauté scientifique internationale sur le sujet et réalise des « expériences » coordonnées, principalement dans l’Atlantique, pour mieux comprendre les processus océaniques impliqués dans le cycle du carbone. La grande question étant de savoir si l’océan peut contribuer à réguler le changement climatique anthropique actuel en réabsorbant, au moins en partie, le CO2, atmosphérique.

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Figure 100. Deux modèles simulant l’évolution, jusqu’à la fin du xxie siècle, du contenu en carbone (en petagrammes de C) des réservoirs atmosphériques, océaniques et continentaux. D’après Sarmiento et al. (2000). On voit qu’il existe des différences considérables entre les modèles. Le modèle du centre Hadley prévoit une faible accumulation du carbone dans l’océan et les continents à l’inverse du modèle de l’IPSL.

Les sédiments, coraux et glaces archives des climats passés

34On vient de voir l’importance du carbone dans le climat de la Terre et le rôle de réservoir ultime joué par l’océan dans les échanges de cet élément avec l’atmosphère, la lithosphère, et la biosphère. En puisant ce carbone dans la lithosphère (pétrole, charbon, forêts...) pour le déverser dans l’atmosphère, l’homme joue maintenant un rôle déterminant dans la répartition de cet élément fondamental de la vie. L’océan reste cependant, en moyenne, un puits de carbone, lequel s’accumule dans les sédiments mais aussi dans les squelettes carbonatés des animaux vivant sur le fond, au sein de la masse liquide ou près de la surface, comme les coraux. Ces débris carbonatés constituent de précieuses archives des climats du passé.

  • 7 Il existe aussi des glaciers continentaux en dehors des régions polaires, dans les Andes, en Asie, (...)

35La paléoclimatologie a suscité un énorme intérêt au cours des dernières décennies, et l’étude de la variabilité des conditions climatiques passées a été d’un précieux secours pour les climatologues cherchant à comprendre les mécanismes générateurs du climat actuel et de son évolution future. Deux catégories de produits carbonatés formés dans l’océan intéressent plus particulièrement les paléoclimatologues, ce sont les dépôts sédimentaires marins et les coraux. Mais un autre milieu, proche de l’océan, a également celé en son sein, au cours des âges, des informations climatiques d’une grande richesse, ce sont les glaces continentales des régions polaires7.

  • 8 Nous ne développerons pas ici, dans un ouvrage dédié à l'océan, l'apport de la paléoclimatologie c (...)

36Il existe ainsi actuellement trois principales sources de connaissances sur les climats passés8. Elles n’ont pas les mêmes qualités, la même précision et les mêmes résolutions, et elles ne relèvent pas toujours des mêmes échelles de temps, mais, ensemble, elles constituent une source presque inépuisable d’informations que les paléoclimatologues et les climatologues n’ont pas fini d’explorer. Toutes ces archives ont un lien avec l’océan soit directement, soit indirectement pour les glaces polaires.

37Nous présentons ici un résumé des avancées de ces disciplines au cours des dernières décennies et de leurs implications dans le développement de l’océanographie.

La paléoclimatologie est née au fond des océans

  • 9 Quand l'océan se fâche/Histoire naturelle du climat, J.-C. Duplessy, Odile Jacob, Paris, 1996.
  • 10 Le groupement Joint Oceanographic Institutions for Deep Earth Sampling (JOIDES) rassemblait quatre (...)

38Dans son remarquable ouvrage, « Quand l’océan se fâche »9, Jean-Claude Duplessy nous rappelle que ce sont les premiers prélèvements d’échantillons sédimentaires du fond des océans, pendant les campagnes du navire foreur Glomar Challenger, « armé » par quatre instituts océanographiques américains JOIDES10), (qui éveillèrent l’intérêt des géologues pour la connaissance du passé climatique de notre planète. À la fin des années 1960, le Glomar Challenger avait été conçu et équipé pour réaliser des forages profonds dans le plancher océanique, destinés à vérifier certaines théories liées à la tectonique des plaques. L’équipement initial était un instrument de forage classique capable de percer un trou pour atteindre un échantillon de roche à plus de 1 000 mètres sous le plancher océanique, et ce par des mers profondes de plus de 4 000 mètres. Un tel équipement, familier des pétroliers, ne pouvait conserver intacts les sédiments traversés. Pour les besoins de la paléoclimatologie, qui prit progressivement le relais de la tectonique des plaques dans les missions du Glomar Challenger, il fut décidé de remplacer le foreur rotatif par un système hydraulique permettant de faire pénétrer en force le tube de carottage sans mélanger les sédiments. La paléoclimatologie venait ainsi d’accéder, au fond de l’océan, à un gisement d’archives pratiquement illimité, qui allait livrer des informations inestimables sur les climats passés de la Terre.

39Le premier paramètre physique qui permet de caractériser un climat est sans conteste la température. Comment déterminer la température régnant à la surface de l’océan et dans l’air à partir de l’examen de carottes de sédiments marins ? Les premières tentatives d’estimation des paléo-températures océaniques ont fait appel à des méthodes issues de la micropaléontologie. Il existe dans les sédiments marins des débris fossiles d’animaux planctoniques, les foraminifères, qui se distinguent par de nombreuses espèces vivant chacune dans des conditions très spécifiques et qui sont donc susceptibles de caractériser tel ou tel environnement, notamment thermique. Certaines de ces espèces vivent en eaux chaudes, d’autres dans des régions tempérées ou froides, près des côtes ou au large. L’abondance d’une espèce dans une strate sédimentaire permet donc de déterminer grossièrement l’environnement thermique de l’époque durant laquelle ces animaux vivaient dans l’océan.

40Mais cette première approche qualitative, familière des géologues, permettait difficilement d’approcher un paramètre physique tel que la température avec une précision et une fiabilité suffisantes pour caractériser un climat. Il fallut donc faire appel à des méthodes de traitement des données plus rigoureuses, s’appuyant sur la statistique. Dans les années 1970, des chercheurs américains établirent qu’il était possible de déterminer les températures des climats passés en associant aux débris de plantes et d’animaux des sédiments passés les conditions environnementales (température,...) que l’on peut observer actuellement pour ces mêmes espèces végétales et animales vivant encore de nos jours. Cette méthode pouvait s’appliquer évidemment aux foraminifères, pour lesquels il fallait établir une relation empirique, appelée « fonction de transfert », entre les conditions climatiques actuelles et l’abondance ou la rareté observées de telle ou telle espèce. Ensuite, en utilisant cette relation, il suffisait de déterminer les espèces présentes dans une strate ainsi que leur abondance pour en déduire la température recherchée. Ces fonctions de transfert se sont avérées étonnement précises et utiles. Bien qu’il faille les définir en chaque point du globe, car elles n’ont pas de valeur universelle, elles ont permis d’atteindre pour la température une précision voisine de 1 °C.

  • 11 Les isotopes d'un élément chimique donné diffèrent par le nombre de neutrons contenus dans leur no (...)

41Mais ce sont les géochimistes qui sont à l’origine d’une méthode entièrement différente et plus précise encore pour déterminer les paléo-températures. Cette technique est fondée sur la mesure du rapport de deux isotopes de l’oxygène11,18O/16O. Dans la nature, et en première approximation, ce rapport est constant et voisin de 0,2 %. Mais lors de la formation de la coquille carbonatée d’un organisme marin, les atomes lourds18O précipitent à des vitesses qui dépendent de la température du milieu. Ainsi, le rapport18O/16O d’une coquille fossile est d’autant plus grand que la température à laquelle il a vécu était plus basse. En pratique, les choses ne sont pas aussi simples et des corrections doivent être appliquées à cette évaluation, car le rapport isotopique des coquilles dépend aussi de celui du milieu marin où elles se sont formées. Celui-ci peut être variable, et il faut donc aussi le connaître. Mais avec une « cuisine méthodologique » appropriée, dont les paléoclimatologues conservent le secret, on peut obtenir une précision meilleure que le degré centigrade à condition que l’analyse de ce rapport isotopique puisse être effectuée avec une grande précision, ce que seuls permettent des instruments d’analyse moderne, les spectromètres de masse.

Les sédiments marins, mémoires des climats passés

  • 12 . Le créateur de la paléo-océanographie française est Jean-Claude Duplessy, qui dirigea le laborato (...)
  • 13 Les zones de subduction sont des régions où une plaque océanique s'enfonce sous une plaque contine (...)

42À l’aide de ces différents paléo-thermomètres, les géologues et les géochimistes, devenus paléoclimatologues, inventèrent la paléoocéanographie12. Ils recherchèrent les sédiments abyssaux les plus anciens qu’ils pouvaient trouver et qui n’avaient pas encore été enfouis dans les zones de subduction13. Le navire Glomar Challenger et son successeur, le JOIDES Resolution, recueillirent suffisamment d’échantillons sédimentaires de roches du Crétacé, vieilles de quatre-vingts à soixante-cinq millions d’années, pour envisager d’ouvrir la chasse aux paléoclimats. La paléoclimatologie et la paléo-océanographie étaient en marche !

43Nous ne nous attarderons pas sur la description des climats de ces temps très anciens, seulement brièvement évoquée ici. Pour un panorama complet de cette passionnante histoire du climat de la Terre depuis quatre-vingts millions d’années, nous renvoyons à l’excellent ouvrage, déjà cité, de Jean-Claude Duplessy. Pendant le Crétacé, dernière période de l’ère secondaire, un monde sans glace et très chaud abritait de nombreuses espèces végétales et animales, parmi lesquelles les fameux dinosaures. Après la catastrophe écologique qui marque la limite Crétacé-Tertiaire (vers 65 millions d’années), probablement due à la collision d’un astéroïde géant avec la Terre qui a mis fin à l’ère secondaire - et aux dinosaures-, l’ère tertiaire a vu les glaces s’établir progressivement pendant plusieurs dizaines de millions d’années sur le continent antarctique. Puis, un peu avant le début de l’ère quaternaire, une calotte glaciaire s’est également développée au pôle nord, recouvrant les continents et les mers arctiques. Ce fut le début de l’alternance des périodes glaciaires (fig. 91 et 101) et des périodes interglaciaires plus chaudes telles que celle où nous vivons aujourd’hui. On a vu que ces alternances de périodes froides et chaudes depuis 900 000 ans sont rythmées par les variations d’origine astronomique du flux solaire reçu par la Terre.

Pourquoi le réchauffement des océans Participe

Figure 101. L’océan glaciaire il y a 18 000 ans, d’après les travaux du groupe Climap. En haut, les températures en février il y a 18 000 ans, en bas, l’écart de températures entre aujourd’hui et 18 000 ans. On remarque que, lors de cet épisode glaciaire, la calotte de glace arctique recouvrait la totalité du Canada, le nord des États-Unis, l'Atlantique nord, la Grande-Bretagne et la Scandinavie.
Au contraire, les régions océaniques tropicales, notamment le Pacifique, étaient un peu plus chaudes (1 °C à 2 °C) qu'actuellement. D’après Duplessy (1996).

44S’il n’est pas envisageable de chercher à déterminer le rôle de l’océan, en sa qualité de fluide géophysique, dans les climats des ères secondaire et tertiaire, on peut se poser la question de son rôle dans les variations climatiques de la période quaternaire récente (depuis 900 000 ans), durant laquelle alternent périodes glaciaires et interglaciaires, curieusement entrecoupées d’oscillations froides ou chaudes à beaucoup plus hautes fréquences.

L’océan dans les oscillations climatiques du Quaternaire

  • 14 Les vitesses de sédimentation dans les grands fonds océaniques sont très faibles, de l'ordre de 1 (...)

45L’océan est impliqué dans les climats glaciaires et interglaciaires du Quaternaire à plus d’un titre. Il peut être affecté par des montées ou des descentes à long terme de son niveau moyen, par la fonte ou la prise des glaces continentales, et ainsi libérer ou fermer des détroits, en modifiant localement la circulation marine. Mais des modifications plus profondes de sa circulation générale sont susceptibles d’affecter sa fonction de transport de chaleur des basses vers les plus hautes latitudes. Ce dernier point est de loin le plus important. La dynamique océanique est indissolublement liée à l’état climatique d’une époque. Pour pouvoir étudier l’implication de l’océan dans le climat par son comportement de fluide dynamique, c’est-à-dire en mouvement, deux conditions sont nécessaires : (1) disposer d’archives climatiques et océaniques suffisamment précises pour apprécier des changements temporels relativement courts, de l’ordre de quelques dizaines d’années à quelques siècles14 ; (2) être assuré que des facteurs externes agissant à grande échelle, tels que la géométrie des continents, peuvent être considérés comme globalement inopérants.

46Ces deux conditions sont presque remplies pour la période récente des 900 000 dernières années, où alternent des oscillations qui peuvent être décrites de façon détaillée avec une haute résolution temporelle (à l’aide des « archives » glaciaires principalement) et que l’on peut rattacher à l’« autovariation » du système climatique composé des milieux dans lesquels l’océan, l’atmosphère et la cryosphère sont les plus déterminants. Reste que ce système est encore soumis à un forçage externe important : le forçage solaire astronomique. L’océan semble jouer un rôle prépondérant dans les processus d’interactions autovariants en jeu à cette échelle, car il est partie prenante dans la majorité des boucles d’actions et de rétroactions, positives ou négatives, qui entrent dans les mécanismes complexes qui gouvernent la variabilité du climat.

47Nous prendrons deux exemples : comment l’océan se comporte-t-il lors d’une glaciation ? Comment peut-on expliquer les variations de grande amplitude (jusqu’à 10 °C en température) mais de courtes périodes (quelques dizaines d’années à quelques siècles) qui hachent parfois les périodes glaciaires et interglaciaires dans l’Atlantique nord ?

L'implication de l'océan dans les glaciations

48Les données extraites des carottes de sédiments marins et des glaces antarctiques et arctiques ont permis des reconstitutions paléo-océanographiques couvrant une grande partie de l’océan mondial, qui mettent en évidence les cycles glaciaires et interglaciaires (fig. 91). Ces données ont permis de réaliser des estimations fiables, non seulement de la température, mais aussi de la salinité et des vents de surface (par des méthodes qui font également appel au rapport18OO/16O et à la micro-paléontologie). Au-delà des descriptions de ces évolutions, il est devenu rapidement nécessaire de comprendre comment on passait d’un état climatique à un autre et quels étaient les mécanismes à l’origine de ces oscillations. Certes, on retrouvait bien, dans ces enregistrements, les périodes de 100 000 ans et les autres fréquences plus hautes de 21 000 et 42 000 ans caractéristiques des « forçages » astronomiques, mais on s’expliquait mal pourquoi ces forçages relativement faibles avaient soudain pris une importance dominante depuis 900 000 ans, alors qu’ils étaient quasiment muets lors des périodes antérieures.

49Après des discussions passionnées entre climatologues, paléoclimatologues, paléo-océanographes, océanographes et atmosphériciens, il devint évident qu’il fallait faire appel à la modélisation dès que la puissance des calculateurs le permettrait, c’est-à-dire à l’orée des années 1980. C’est encore le groupe d’André Berger, de l’université libre de Louvain-la-Neuve en Belgique, qui en fut chargé. Les schémas de circulation obtenus grâce au modèle qu’il développa montrèrent qu’en période glaciaire, telle que celle vécue par nos ancêtres il y a environ 18 000 ans, les eaux nord-atlantiques plongeaient moins profondément dans la zone de convection (fig. 102). Comme nous l’avons vu (chapitre 2), cette « plongée convective » d’eaux froides et denses constitue la source froide de la machine thermique océanique méridienne (le « tapis roulant »). Le modèle d’André Berger montrait également que cette circulation thermohaline méridienne du « tapis roulant » était ralentie d’environ un tiers par rapport à ce qu’elle était en période interglaciaire telle que l’actuelle. Il indiquait aussi que, lors des épisodes glaciaires, la limite d’extension nord du flux océanique superficiel chaud, avant qu’il se refroidisse et plonge dans la zone de convergence, était décalée vers le sud jusqu’à la latitude du nord de la France. Autrement dit, le Gulf Stream montait moins haut en latitude qu’actuellement.

  • 15 Le climat du dernier maximum glaciaire, il y a 18 000 ans, a considérablement modifié l'environnem (...)

50En bref, le modèle de Berger montrait que lors des épisodes glaciaires, le circuit océanique méridien d’alimentation en chaleur des hautes latitudes était moins profond, moins rapide, transportait moins de calories, et s’arrêtait plus au sud, au milieu de l’Atlantique nord15.

L'hypersensibilité climatique de l'Atlantique nord

51Le résultat le plus remarquable du modèle d’André Berger est peut-être la mise en évidence de la grande sensibilité de cette circulation océanique méridienne aux changements de salinité, particulièrement dans la région où les eaux sont censées plonger dans les zones de convergence et de convection, entre 50 ° N et 70 ° N. On comprend aisément que la densité de l’eau de mer n’est pas une fonction de sa seule température, elle dépend aussi de sa salinité. Des eaux plus salées sont plus lourdes et plongent donc plus rapidement et plus profondément. Au contraire, des eaux dessalées freinent la convection.

52Berger montrait ainsi que la circulation océanique dans l’Atlantique nord était très dépendante des conditions de surface, notamment des températures et des salinités, imposées par le climat, glaciaire ou interglaciaire.

53Mais on pouvait se poser la question inverse : est-ce que des sautes d’humeur de la circulation océanique, pour d’autres raisons, ne pouvaient pas faire rapidement basculer le climat d’un état glaciaire à un état plus chaud, et inversement ? Certaines oscillations climatiques à hautes fréquences (abrupt changes) de quelques dizaines d’années à quelques siècles, observées dans des carottes de glace du Groenland, pourraient le laisser supposer. On en reparlera plus loin. On retiendra cependant que des oscillations climatiques de fréquence 100 000 ans et moins, présentes dans les enregistrements paléoclimatiques, privilégient le forçage externe astronomique par rapport à une simple autovariation du système climatique piloté par l’océan.

54Jean-Claude Duplessy a conclu de ces résultats que l’Atlantique nord est une région particulièrement sensible au sein du système climatique. Cette sensibilité exacerbée favorise sa réponse aux faibles changements du flux radiatif solaire d’origine astronomique théorisés par Milankovitch et calculés par Berger, qui permettent de déclencher une glaciation ou d’y mettre fin. On retiendra que cette extrême sensibilité du système climatique est due à la circulation océanique méridienne atlantique, le « tapis roulant ». C’est une des raisons pour lesquelles les océanographes l’ont intensément étudié notamment au cours du programme Woce (chapitre 3).

Pourquoi le réchauffement des océans Participe

Figure 102. Section nord-sud de l’océan Atlantique montrant les variations de la composition isotopique du gaz carbonique dissous dans l’eau, l’intensité et la profondeur de la convection dans les périodes glaciaires et interglaciaires. Les valeurs élevées correspondent aux teneurs les plus riches en carbone 13 propres à des eaux très mélangées (ventilées) caractérisant une convection océanique importante. En haut, l’océan actuel présente une convection profonde marquée en surface au sud de 50 ° N et s’étendant jusqu’à 2 500 m de profondeur. En bas, l’océan glaciaire (il y a 18 000 ans) présente une convection plus faible en surface et s’étendant moins profondément (2 000 m). D’après Duplessy (1996).

Le « tapis roulant » peut avoir des ratés

55L’extrême sensibilité du climat et de la circulation océanique de l’Atlantique nord semble avoir pour conséquence des changements climatiques brusques, à des fréquences élevées, très supérieures à celles du forçage astronomique responsable des oscillations glaciaires et interglaciaires. On en a décelé deux catégories : (1) des oscillations apparaissant tous les 5 000-10 000 ans, plutôt limitées aux périodes glaciaires et amenant des intermèdes encore plus froids, pendant une durée de l’ordre du millénaire ; (2) des oscillations de plus haute fréquence encore, entre quelques dizaines d’années et quelques siècles, faisant apparaître des réchauffements très rapides et de grande amplitude, de l’ordre de la dizaine de degrés. Quelle est l’explication de ces changements climatiques brusques, qui ont surpris et agité la communauté des paléoclimatologues et des paléo-océanographes, ainsi d’ailleurs que les océanographes physiciens, encore récemment ?

Les événements de « Heinrich » et de « Dansgaard-Oeschger »

56Les oscillations de période 5 000 à 10 000 ans ont été mises en évidence par un géophysicien allemand, Hartmut Heinrich, d’où leur nom. Heinrich fut le premier à suggérer une origine glaciaire aux curieuses strates de débris de gros calibres, apparaissant à six reprises, tous les 5 000-10 000 ans, dans des carottes sédimentaires de l’Atlantique nord. L’origine climatique de ces formations détritiques a été confirmée par l’analyse des carottes de glace réalisées au Groenland en 1992 et 1993 au cours des programmes GRIP et GISP2. L’analyse du rapport isotopique des atomes d’oxygène contenus dans les bulles d’air enserrées dans la glace, comme cela avait été fait antérieurement pour les coquilles fossiles des sédiments marins, a permis de déterminer que ces décharges détritiques correspondaient à des changements thermiques brutaux insérés dans la période glaciaire et marqués par une fonte partielle des glaciers continentaux.

57Les événements du second type, de très courte période, ont été également mis en évidence à la fois dans les sédiments marins et dans les glaces du Groenland, où les premiers forages avaient été réalisés au début des années quatre-vingt par les équipes danoises de Willy Dansgaard et du Suisse Hans Oeschger. Les analyses isotopique des bulles d’air montrèrent que les périodes glaciaires, mais aussi interglaciaires, étaient « hachées » par des réchauffements brutaux de grande amplitude (10 °C), suivis d’un refroidissement plus progressif. Le cycle avait une durée totale comprise entre 100 et 2 000 ans. Ces résultats surprenants furent confirmés par la suite par les nouveaux carottages de glaces du Groenland de 1992 et 1993, déjà mentionnés. On dénomma ce type d’oscillations climatiques « événements de Dansgaard-Oeschger », du nom de leurs découvreurs.

Des explications à ces variations climatiques de hautes fréquences ?

58Pour les événements de Heinrich, l’explication est venue des glaciologues qui, étudiant le comportement mécanique de la glace sur un support continental, montrèrent que les glaces du Groenland ne pouvaient s’accumuler indéfiniment, sinon la calotte glaciaire deviendrait instable. Les calculs indiquèrent que tous les 5 000-10 000 ans environ, une partie de la glace devait s’évacuer dans l’océan sous forme d’icebergs géants. Ces derniers en fondant déposaient dans les sédiments du fond océanique les éléments détritiques qu’ils transportaient. L’action de l’océan permet de comprendre comment ces événements aboutissent à une situation encore plus froide. La fonte des icebergs génère en effet d’énormes quantités d’eaux douces qui se répandent dans l’Atlantique nord. De ce fait, le niveau moyen de l’océan monte d’une dizaine de mètres durant le pic chaud d’une oscillation de Heinrich.

59Or, ces eaux douces sont légères, « plongent » difficilement, et la convection océanique se ralentit au point qu’elle peut s’arrêter totalement. Le « tapis roulant » est en panne, le Gulf Stream ne transporte plus vers le nord la chaleur qui fait bientôt défaut dans l’ensemble de l’Atlantique nord. Un froid intense s’installe sur l’Europe. Mais, du fait de ce refroidissement, progressivement, les calottes glaciaires continentales accumulent à nouveau de la neige et de la glace, le niveau moyen des océans baisse, le phénomène s’inverse, on revient à l’état initial : le cycle est bouclé.

60Les événements de Dansgaard-Oeschger ont une origine toujours fortement débattue par la communauté scientifique. Leur nature exacte relève encore du domaine de la conjecture. Des résultats récents tendent à montrer que ces oscillations de haute fréquence sont liées aux mouvements du front polaire et aux modifications des circulations océanique et atmosphérique. Mais on ne connaît pas avec précision le mécanisme à l’origine de ces bouleversements de haute fréquence de la circulation océanique et du climat.

Rôles du « tapis roulant » océanique et du transport atmosphérique

61Dans un domaine dominé par la conjecture, on peut formuler des hypothèses et imaginer d’autres scénarios plausibles pour comprendre le rôle de l’océan et de l’atmosphère dans ces phénomènes. Pour les événement de Heinrich, on a vu dans un premier scénario que l’océan intervient dans une boucle de rétroactions déclenchée par des processus ayant leur origine dans la dynamique des calottes glaciaires. Le scénario plausible est l’arrêt du « tapis roulant » qui souligne l’importance de l’océan dans ce domaine de variabilité climatique. Mais on doit concéder que ces mécanismes ne sont probablement pas aussi simples.

  • 16 Un dérèglement de la source chaude peut aussi entraîner une perturbation, ou une panne, du circuit (...)
  • 17 On peut remarquer aussi que lorsqu'un El Niño se développe, avec des eaux chaudes recouvrant presq (...)

62D’autres boucles de rétroactions sont possibles et, parmi celles-ci, il en est une qui passe par l’atmosphère. Lorsque le « tapis roulant » et le Gulf Stream s’arrêtent, de la chaleur s’accumule dans les eaux tropicales16 ce qui peut avoir pour effet d’intensifier l’évaporation, et donc les précipitations dans les régions tempérées et arctiques plus au nord. Cette situation correspond à une suractivation des cellules de circulation atmosphérique méridiennes, dont les « cellules de Hadley »17 (voir chapitre 5). L’accroissement des précipitations, notamment neigeuses, dans les latitudes élevées a pour conséquence le développement rapide des glaciers continentaux du Groenland et du nord de l’Europe. C’est une autre façon de « boucler » les cycles de Heinrich.

63Ainsi, lorsque pour une raison ou pour une autre la machine thermique océanique ne peut plus contribuer à répartir l’énergie calorifique entre les basses et les hautes latitudes, l’atmosphère prend le relais. Mais elle le fait suivant des constantes de temps beaucoup plus rapides, ce qui peut impliquer des boucles actions-rétroactions différentes et plus complexes.

64On retombe ainsi sur le problème posé par un système climatique composé de plusieurs milieux qui interagissent, en étant dotés de caractéristiques différentes et en évoluant suivant des échelles de temps également différentes. Le nombre de boucles actions-rétro actions est considérable et les climatologues ne sont pas encore dotés des outils nécessaires, en termes de modèles et de moyens d’observations, pour les identifier et élucider leur fonctionnement et leurs interactions.

65Au-delà de la complexité de ces mécanismes, le fameux « tapis roulant », élément central de la circulation océanique thermohaline méridienne, apportant plus ou moins de calories à l’Atlantique nord, est certainement très impliqué dans ces oscillations de hautes fréquences qui se déclenchent brutalement, avec une grande amplitude et selon une échelle de temps perceptible par la vie humaine. De telles oscillations ne sont pas exclues dans le changement climatique que nous connaissons aujourd’hui.

Les coraux, témoins de l'histoire des océans tropicaux

66Les coraux sont des organismes vivant près de la surface des océans tropicaux, souvent utilisés en paléoclimatologie car ils sécrètent un squelette d’aragonite, variété de carbonate de calcium, dont la composition isotopique de l’oxygène (rapport 18O/16O) est variable en fonction de l’environnement (température, précipitations et salinité) dans lequel ils ont vécu. Néanmoins, pour retrouver ces paramètres environnementaux que sont la température, les précipitations et la salinité, il est nécessaire de faire appel à la mesure d’autres éléments rares tels que le strontium, l’uranium ou le baryum. Le rapport 13C/12C peut aussi être utilisé. Par ailleurs, l’âge des coraux peut être déterminé facilement, avec une résolution annuelle, car la radiographie X de l’aragonite montre des alternances de bandes claires et plus sombres qui marquent la croissance annuelle de l’organisme comme les cernes des arbres.

67Avec cette batterie d’indicateurs, dont le nombre augmente régulièrement au rythme des avancées de la géochimie, il est possible d’atteindre des précisions de l’ordre du dixième de degré centigrade en température, et d’obtenir une bonne indication des variations de précipitations, de salinité ainsi que de la nébulosité de l’air ambiant.

68L’accès à ces paramètres a permis à plusieurs équipes, principalement américaines et françaises, de reconstituer les états climatiques du passé récent dans le Pacifique tropical en forant des carottes dans le corail. C’est ainsi que les équipes de l’IRD en Nouvelle-Calédonie ont pu démontrer que le refroidissement du « petit âge glaciaire » des xviie et xviiie siècles était également marqué dans le Pacifique par une baisse significative de la température de surface moyenne de l’océan de quelques dixièmes de degrés Centigrades, donnant à cet événement climatique un caractère universel qui avait été contesté par certains.

Pourquoi le réchauffement des océans Participe

Une opération de forage dans un squelette de corail.

69Le phénomène El Nino a également pu être reconstitué et suivi sur plusieurs siècles, ce qui offre de précieuses indications sur les variations à long terme de cette oscillation météo-océanique. Thierry Corrège, de l’équipe française de Nouvelle-Calédonie, a pu déterminer qu’il y a 150 ans, avant l’ère industrielle, une variabilité décennale prévalait. À la fin du xixe siècle, El Niño apparaissait environ tous les 10-15 ans. Au début du xxe siècle, cette fréquence s’est brusquement accélérée, pour atteindre la fréquence actuelle de 3 à 4 événements par décennie, dans le contexte d’une montée générale des températures de surface de l’océan. Toutes ces informations sur les caractéristiques de l’oscillation climatique Enso dans un passé récent, inaccessibles par des mesures physiques, sont de la plus grande importance pour les théoriciens.

70Les coraux fossiles permettent de remonter plus loin dans le temps, mais pour des périodes limitées à la durée de vie du corail (quelques décennies ou siècles). C’est ainsi que les mêmes équipes ont pu mettre en évidence qu’il y a 4 200 ans, lors de l’optimum interglaciaire de l’Holocène moyen, les épisodes El Nino étaient beaucoup plus intenses qu’aujourd’hui, et les variations saisonnières de la température de surface dans le Pacifique plus marquées.

71Ces équipes française et américaine ont aussi montré que 12 000 ans avant notre ère, le refroidissement brutal du Younger Dryas, qui s’est abattu sur l’hémisphère nord de façon inexpliquée lors de la fin de la dernière glaciation, comme une sorte de rebond glaciaire, était également très marqué dans l’hémisphère sud. Il était associé à une remontée générale en latitude, vers l’équateur, des systèmes de circulation atmosphérique (vents) et océanique (courants) moyens du Pacifique tropical sud. Ce constat montre encore combien sont importants les liens existant entre basses et hautes latitudes, aussi bien dans l’atmosphère que dans l’océan. La mise en évidence de telles relations, en coïncidence avec un événement climatique très marqué comme le refroidissement du Younger Dryas, apporte également des cadres conceptuels pour l’établissement de modèles climatiques océan-atmosphère.

72On ne peut terminer un sujet consacré à l’apport des coraux à la connaissance du climat sans évoquer une fois encore la menace que le réchauffement climatique actuel fait courir à l’existence même de ces organismes marins. On a déjà évoqué (chapitre 5 - impacts d’Enso) le problème maintenant bien connu du « blanchiment des coraux ». Les coraux se développent dans des eaux superficielles de température comprise entre 19 °C et 26 °C. Au-delà de cette fourchette thermique, leur vie devient plus difficile. Beaucoup de massifs coralliens vivent aujourd’hui dans des conditions proches de cette limite supérieure, à cause du réchauffement climatique global qui affecte tous les océans. Une nouvelle hausse des températures pourrait les faire disparaître. Plusieurs régions du monde ont déjà vu leurs coraux mourir après avoir blanchi suite à la mort des minuscules algues symbiotiques, les zooxanthelles, qui vivent à l’intérieur du squelette du corail et lui servent de nourriture. Ce sont ces algues qui donnent au corail ses couleurs. Une fois ces algues mortes, le corail apparaît blanc, d’où le nom donné au phénomène. On estime que 20 % des coraux du monde ont disparu ces dernières années et la poursuite du réchauffement de la planète fait craindre une accélération de ce phénomène, bien que d’autres causes expliquant la mort des coraux puissent également être invoquées.

Pourquoi le réchauffement des océans Participe

Figure 103. Écarts à la moyenne (ou anomalies) des températures de surface, observées in situ au voisinage de l’atoll de Tarawa (170 ° E) dans le Pacifique, comparés aux écarts obtenus par la mesure du rapport isotopique du corail. L’accord entre les températures instrumentales (SST) et les températures obtenues avec les rapports isotopiques du corail est excellent. C’est ainsi que le phénomène El Niño peut être reconstitué sur de longues périodes passées. Document Julie Cole, université du Colorado.

Océanographes et paléo-océanographes se rejoignent

  • 18 En France, le Programme national d'étude de la dynamique du climat (PNEDC) créé sous l'impulsion d (...)

73Les brillants résultats obtenus par les paléoclimatologues et les paléo-océanographes ont permis aux climatologues et aux océanographes, qui étudient la période actuelle, d’approfondir significativement leurs connaissances des mécanismes générateurs des variations climatiques. Amorcé au cours des années 1990, le rapprochement des disciplines « paléo » avec celles des dynamiciens de l’océan et de l’atmosphère se poursuit actuellement au bénéfice réciproque de ces communautés scientifiques, qui jusque-là se rencontraient peu, utilisant des outils et des langages différents. C’est encore la force de l’objectif climatique que d’avoir rendu possible ce rapprochement, comme s’étaient déjà rassemblés, une décennie plus tôt, océanographes et atmosphériciens18. Cependant, ce n’est pas sans un certain agacement que des océanographes « aux pieds mouillés », trempés dans l’océan actuel, voient des théoriciens de l’océan (et de l’atmosphère) prêter soudain plus d’attention aux observations des paléoocéanographes qu’à celles des océanographes sur la période actuelle ! La raison en est que, pour comprendre les relations entre l’océan et le climat, il faut impérativement regarder au-delà de leurs manifestations du moment et intégrer leur dimension temporelle.

74Les modélisateurs du climat ont besoin de caler leurs simulations sur les scénarios du passé, et de tester la qualité de leurs simulations en les comparant aux reconstructions paléo-climatiques. Inversement, les paléoclimatologues apprécient que des modèles puissent les aider à reconstituer le film de leurs observations du passé, souvent disparates et parcellaires, et surtout à mettre au jour les mécanismes physiques qui sous-tendent le scénario général des évolutions du climat qu’ils observent.

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Augmentation de la température de l'eau Les changements de température de l'eau ont une influence sur les variations du niveau des mers. L'eau se dilate en chauffant, ce qui provoque une augmentation de son volume, et donc une élévation du niveau.

Quel est l'impact du réchauffement climatique sur les océans ?

Le réchauffement de l'océan provoque une plus grande évaporation de l'eau. La vapeur d'eau étant un gaz à effet de serre, elle contribue à accélérer le réchauffement du climat… et donc l'évaporation de d'eau. L'élévation de la température de l'océan le rend également moins efficace pour capter le carbone.

Pourquoi les océans Ont

Cette immense masse d'eau influence le climat en absorbant l'énergie solaire et en libérant de la chaleur. En effet l'océan dispose d'une énorme capacité thermique. Il se réchauffe et se refroidit très lentement et peut stocker une quantité de chaleur environ mille fois supérieure à celle de l'atmosphère.